Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

Envie d'écrire

Paris, ou les Yvelines. Une petite banlieusarde, elle vit dans un appartement pas trop grand, pas trop petit non plus, ni vraiment en ville, ni à la campagne. Un quartier résidentiel. Elle vit avec son mari, trois chats, un chien. Des poissons, survivance d’une passion qu’elle a de plus en plus de mal à raviver.

Ils ne roulent pas vraiment sur l’or, tous les deux ; à leur âge c’est plutôt habituel. Elle travaille un peu, de petites missions, des stages. Elle ne trouve pas autre chose, manque d’expérience, probablement. Pas facile quand on sort d’une filière recherche… Elle a abandonné l’idée de faire une thèse : c’est pour les gens vraiment passionnés, et puis elle s’est vue incapable de rédiger son propre sujet. Tant pis.

Elle a eu une bonne scolarité, été modérément brimée au collège, été heureuse dans ses études supérieures. Elle a des amis, une famille, un homme, des amants. Mais il lui manque quelque chose d’essentiel. Quoi ? Mystère.

La vérité, c’est qu’elle n’est pas vraiment ce qu’elle croit être, ou qu’elle n’est pas ce qu’elle semble être. Mais qu’est-ce qui, des faits ou des aspirations, prime à définir un individu ? Dans son esprit, elle est cette gamine rêveuse et peu bavarde qui réfléchissait à propos de tout, qui lisait à la récréation et s’angoissait toute seule le soir dans son lit, parce qu’elle tentait d’appréhender l’infini. Elle est celle qui chassait inlassablement les papillons, courait dans le bois, jouait dans le ruisseau et pêchait des têtards au lavoir. Dans sa tête, elle aime et connaît la nature, elle est de la campagne et non de la ville. Mais l’objectivité l’arrache à ses légendes ; elle n’a pas la main verte, ne sait pas tenir un jardin, elle craint de s’ennuyer en milieu rural et se perd aussi facilement en forêt qu’à Paris. Et de quoi sont faits ses rêves, maintenant qu’imaginer son futur a plus un relent anxiogène de défi, et qu’elle entend tourner les aiguilles du chronomètre ? Maintenant que chaque choix se drape dans l’ombre du définitif ?

La vérité, c’est qu’elle a peur. Une peur terrible de grandir trop vite et de n’y rien pouvoir faire, et de vivre à côté de sa vie. D’où vient cette pression, cette obsession de réussir ? Et puis, ça veut dire quoi, pour elle, réussir ? A vrai dire, elle n’a jamais vraiment connu l’échec. Elle a soigneusement évité toutes les prises de risques, pour ne pas s’y confronter. C’est peut-être pour ça qu’il la terrifie tant. Et puis, elle voudrait bien devenir quelqu’un d’exceptionnel, devenir quelqu’un qu’elle puisse admirer, qu’on félicite et qu’on loue. Quelqu’un qui compte.

Elle a le sens artistique, lui a-t-on toujours dit. D’ailleurs, c’est de famille. Mais pourtant, plus le temps passe, plus les portes se ferment. De la musique ? Oui, c’est amusant, mais jamais elle ne deviendra un Mozart. D’ailleurs elle n’y tient pas. Du dessin, de la peinture ? Elle aimait bien ça, enfant puis adolescente, mais elle a arrêté. Faute d’envie, un peu, mais surtout de résultats.

L’écriture, c’est ce qui lui a toujours fait envie. C’est ce qu’elle a toujours fait, depuis qu’elle sait écrire. Mais jamais régulièrement. Elle a reçu des félicitations, déjà, des encouragements. « Bon style », on lui disait. « Surtout ne vous arrêtez pas ! »

Mais, oui, c’est difficile, de plus en plus. Elle découvre chaque jour un monde de concurrence, où foisonnent la qualité, l’émouvant, le drôle, l’incisif. Et qu’aurait-elle à dire ? Elle peine tellement à trouver une idée qui vaille la peine d’être dite. Et quand elle se lance, bien trop souvent elle ne sait comment poursuivre.

Dans sa tête elle s’est toujours plus ou moins considérée comme un poète, un écrivain en devenir. Mais elle doute. D’où lui vient une telle prétention ? Comment pourrait-elle croire qu’elle est à la hauteur de son rêve ? Désormais, si elle écrit, c’est avec une boule dans la gorge ; et une absurde, mauvaise, honteuse jalousie la pique lorsque d’autres y arrivent, un sentiment identique à la frustration du mauvais perdant.

Pourtant, elle ne veut pas perdre au grand jeu de sa vie. Si elle abandonne, que lui restera-t-il hors les regrets ? Il est de notoriété publique qu’on n’attrape pas les rêves avec du vinaigre. Comment continuer, comment se battre, alors qu’on est toujours, désespérément, seul face à sa page, et qu’on a tout à accomplir, en traînant ses démons comme des boulets rouillés ? Qu’importe, car il le faut de toutes façons, pour échapper au désespoir.   



15/04/2014
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