Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

La liberté, c'est quand on peut voler

Elle suit le chemin. C'est un étroit sentier perdu dans un fouillis végétal si dense qu'il masque le ciel. L'entremêlement de branchages est inextricable, le sol terreux est inégal, mais elle va pieds nus sur ce chemin qu'elle connaît par cœur. On perçoit les échos du ressac à quelque distance de là. Mais ici, on pourrait être au cœur de la forêt. De lourds parfums montent du sous-bois, humus, champignons, humidité fraîche, bois mouillés. Des ruisseaux serpentent silencieusement mais on sait leur présence par le toucher : la peau frissonne à l'air humide, et ses pieds traversent de minuscules torrents où coule le sable sous l'eau brillante. Les arbres et les plantes exhalent l'odeur du bois juste après la pluie. C'est l'odeur de la vie. Elle chemine sur sa piste, celle que ses pas répétés ont tracée dans ce lieu vierge de toute autre humanité que la sienne. Souple et nue, elle avance sans difficultés à travers ce labyrinthe.

 

Et puis soudain, elle débouche sur l'orée du bois. Le sentier s'interrompt brusquement juste au bord d'une falaise à pic. D'ici, la vue est simplement magique. Le ciel chargé de nuages se pare d'un or de miel et de vieux roses au soleil du crépuscule, tandis qu'une brise marine pousse devant elle quelques mouettes et les embruns salés. A ses pieds s'étend l'océan, d'un vert changeant et profond. Les vagues viennent se dérouler paresseusement sur la crique de sable et de graviers qui jonche le bas de la falaise sur laquelle elle se tient debout. Il ne fait pas froid, même le vent léger qui lui apporte l'iode et la silice et les algues fraîches n'est qu'une caresse. De part et d'autre, les ruisseaux se jettent par dessus bord et tombent en minces cascades irisées jusque dans l'eau profonde. Là bas, juste hors de vue, se trouve la grotte secrète où elle aime passer du temps. Son épicentre, le lieu où rien ni personne ne peut l'atteindre. Mais en ce soir superbe, elle préfère rester dehors. Alors, elle s'étire et s'étend, et prend son envol vers le ciel, et c'est pure magie. Elle s'éloigne à tire d'ailes, flottant au dessus de la terre, affranchies de ses limites. Plus rien n'est impossible et tout est accessible, désormais.

 

Une sonnerie lancinante brise le rêve en douloureux éclats qui s'éparpillent, débris colorés, sous les meubles poussiéreux de la mémoire.

 

Elle descend l'escalier, froissée par sa nuit trop courte, l'oeil trop lourd, et avec au cœur une terrible sensation de manque et de frustration. Elle était si bien, chez elle, et c'est si loin maintenant, si inaccessible... Clouée au sol. Clouée à une réalité monotone. Elle embrasse sa mère, comme chaque matin.

 

« Cette nuit, j'ai rêvé que je volais. » Mais les mots gris sonnent déjà creux.  



18/08/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 6 autres membres