Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

Frère cadet

Nouveau saut dans l'espace. Pas grand chose, vraiment. Un bond, un pas même, la porte à côté, le Val d' Oise. Une maisonnette à flanc de colline, à l'orée d'un bois communal. Un coin très tranquille, très beau, une respiration, la banlieue éloignée. On sent encore la campagne d'il y a dix ans, les vergers, tombés au nom de l'expansion urbaine, survivant par fragment au gré des jardins privés. Un cerisier par ci, par là, deux ou trois pommiers, arbres d'archive.

 

Entrez dans la maisonnette. Ce n'est pas bien grand. Mais tout de même, trois chambres, pour les trois occupants. La mère, son fils, sa fille cadette. Il reste deux oisillons dans cette nichée de trois, mais le second n'en finit pas d'essayer ses ailes. Il brûle de partir, loin si possible, de s'échapper de cette vie familiale qui l'étouffe, de cette chambrette trop petite et isolée. Son père ne vit plus avec eux, heureusement, mais il doit encore vivre selon les règles de sa mère, qui le voit encore petit et fragile, alors qu'il voudrait juste qu'elle soit fière de lui en tant qu'adulte. Il y a bien sa sœur, petite fille qui n'a guère que la moitié de ses années, et qui l'adule. Il a un bon feeling avec les enfants, il aime leur franchise et leur simplicité, et leurs airs de grande personne, ça le fait rire. Cette petite, c'est leur bouffée d'air frais à tous, gamine intelligente, vive, agaçante, drôle et égocentrique, une enfance réfléchie, une sagesse qu'on ne prête pas, à tort, aux gens de son âge. Mais la petite, c'est bien la seule qui le laisse vivre, la seule qui prend sa lumière au lieu de le couvrir d'ombre.

 

Lui, il a des rêves vagues mais exaltants de pays lointains, de villes étudiantes grouillantes de vie, de camaraderie, de contacts amicaux. Il vit dans la musique, et dans les mots.

Il a grandi bizarrement, ce beau garçon mince d'à peine plus de vingt ans. Etouffé par une grande sœur despotique et douée, par un père injuste qui lui en veut obscurément dans ses brumes angoissées, par un système scolaire qui n'a jamais vraiment su accrocher son esprit pourtant vif. Il a été un petit garçon joyeux mais souvent apeuré à l'idée qu'on l'oublie, ou qu'on le perde, trop à l'ombre pour se sentir important sans doute. N'allez pas vous imaginer qu'il ait manqué d'amour, non, mais quelque chose de lointain semble l'avoir empêché d'en profiter en toute sérénité.

 

Alors maintenant, il se venge. Il quitte et requitte son cercle familial, au profit de ses amis, qu'il a nombreux. Il renoue avec la famille lointaine, et s'éloigne de la plus proche, de ses parents. Comme une fuite, toujours, vers ailleurs. C'est un créatif, un sensible qui a de bons yeux. Il n'est pas idéaliste, plutôt du genre pessimiste même, mais ainsi l'Humain déçoit moins.

Et il abrite une colère sourde, qui s'échappe par salves comme d'une mitraillette, en forme de phrases amères et poignantes. Cet homme est en guerre, qu'on se le tienne pour dit. Il s'indigne et s'exclame contre les torts de la Société, il condamne le lâche et l'aveugle. Mais tout ça sans bombes, non. En soirée, entre potes, voilà, c'est son style. Avec fun. Il cache ses torrents sous une apparente bonhommie tranquille, à l'image d'un glacier lisse et blanc au soleil, sous le manteau duquel rugissent des eaux furieuses. Lui aussi, le bédot le soigne ou l'apaise, et l'inquiétude qu'il suscite chez ceux qui l'aiment, mais ont trop meurtri ses joues rondes d'enfant, le laisse indifférent. Enfin, il ne se plaint pas. Il n'a pas été un enfant battu et il sait bien user de son charme et de ses parents.

 

Mais trop souvent, il se perd de vue, et se laisse embarquer, comme d'autres, comme tant d'autres, sur la tranquille Routine alanguie. Il observe la vie se dérouler, sans hâte, sous ses yeux exercés, mais il pèche souvent par inattention. Il n'a aucune envie de continuer une route conventionnelle, un petit taff sans envergure, sans surprise, une vie bien rangée et établie, non. Pas pour lui. Mais l'inconnu qui l'attire lui fait peur aussi, la montagne du changement lui semble une pente bien raide à gravir, et il ne sait pas bien comment faire, ni par où commencer.

 

Alors en attendant, il tise, il fume et il laisse aller son flow, avec une fausse nonchalance.  



15/04/2014
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