Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

Freelance

A quelques rues de là, dans un autre appartement, dans une autre ville, mais dans la même région, un jeune homme se réveille. Il est aussi au quatrième de son immeuble sans ascenseur, mais la vue depuis chez lui est ouverte sur de petits jardins ouvriers, avec de petits immeubles de brique orange en fond, et, plus loin, Paris et la Défense, soupçon de luxe, cheville de capitale exposée aux yeux comme une promesse d'étreinte.

 

Son quotidien à lui est fait de rendez-vous hebdomadaires, mais n'impose que rarement les horaires brutaux du tout-venant diurne, et c'est tant mieux. Il préfère vivre de nuit, et ne s'active souvent qu'à la tombée du jour. Le soleil qui baigne sa chambre aux belles heures de l'après-midi invite surtout à de longues siestes, et le reste du temps se partage entre tâches ménagères et ordinateur. Il joue, de jour, le soir, la nuit, il joue et dissèque les jeux, à la recherche de la bonne recette, comme un alchimiste.

 

Il s'anesthésie à coups d'écran et de clavier, emmitoufle sa flemme dans ses projets mais une force énorme le pousse à repousser, trop souvent, il le sait, au lendemain.

Il pourrait travailler, comme on imagine le travail, en entreprise, avec des pauses, du café, des collègues, des réunions et la cantine. Il le faisait, d'ailleurs. Il n'a jamais été aussi malheureux que dans cette période où chaque matin le voyait se lever avec à l'esprit, une seule question. A quoi bon ? L'ennui le rongeait, le temps s'effilait et il voyait ses rêves s'éloigner de plus en plus, sans bouée de sauvetage. Il se contemplait sombrant dans le bourbier d'un quotidien inintéressant. Il ne s'est pas laissé faire. Révolté, il a imaginé un plan pour déjouer la fatalité qui le poussait dans les mauvais bras. Et puis il a démissionné. Phase 1. Maintenant il doit mettre au point son premier jeu. C'est là qu'il en est, et c'est là que le bât blesse. Il n'a jamais été au bout d'un projet comme celui-là, et il a peur, peur de ne pas y arriver. S'il échoue, c'est son rêve qui meurt. Il n'a jamais eu autant à perdre, et tout cela, sur ses épaules. Et c'est bien ça... C'est bien ça qui l'inquiète, car s'il attend beaucoup de lui, il se méfie encore plus. Il sait de quoi il est capable, du côté du pire. Mais le meilleur reste à prouver. Après ça, il y aura d'autres barreaux à gravir, tous difficiles, mais cette marche-là lui semble la plus énorme, et la plus décisive, car il y est son seul obstacle, et tout échec dépendrait entièrement de lui.

 

Et il ne se passe pas un jour sans que vienne lui poindre au cœur une sourde anxiété liée au temps qui court. S'il y a une chose qui l'apaise efficacement, même de façon éphémère, c'est de recevoir sa méduse. Une autre poudre aux yeux, il le sait bien, mais il succombe comme elle à ces éclats-là. De toutes façons, il a d'autres démons à fouetter, alors que coule sous ses pieds le temps des Possibles.  



15/04/2014
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