Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

Balade Nocturne

L'asphalte luisant sous nos pas accroche des flaques de cette lumière orange qui nous tombe par intermittences sur les épaules. Quelque part, le tintement rythmique d'un câble de métal contre un mât solitaire se détache sur fond de houle, balancé par un vent humide. Nous voilà transportés par le pouvoir des sons dans un port d'arrière-pays, sans océans et sans bateaux. Mais les parfums de cette nuit d'octobre démentent la lente musique de l'air : je sens le goudron froid, la terre gorgée de pluie, les feuilles mourantes et l'écorce sombre. Je sens la ville comme à mon enfance, la fraîcheur indulgente et les végétaux d'automne. Aucun effluve iodé ne vient épicer de littoral la partition olfactive du continent.

 

Devant moi, le chien se livre à ses obscures passions, se faisant à la fois focale de mon attention et vecteur de mes flâneries mentales. La nuit mange d'ombres les rues et les parkings de la petite zone industrielle où nous nous aventurons. Il n'y a que nous, parcourant un décor vide d'acteurs comme une scène entre deux spectacles. Et pourtant, je jurerais que nous sommes, mon compagnon à quatre pattes et moi, les parfaits protagonistes d'un prologue de polar, ou d'un conte horrifique pour adolescents. Même moi, qui me targue d'aimer l'automne, la nuit et le déchaînement des éléments, j'ai surpris une vague inquiétude, un proto-frisson, une primordiale anxiété, lorsque nous sommes entrés sur le terrain vague noyé d'obscur. Oui, quand mes deux mains ont été affairées à entraver l'unique issue de ce parc abandonné, interdit au public pour cause d'éternels travaux, refermant grossièrement le grillage découpé à l'aide de la laisse comme une plaie mal suturée, quand le vent a forci en bourrasques, décoiffant les arbres et poussant des monceaux de nuages, j'ai frémi à des bruits aussi étranges qu'imaginaires. J'ai cru entendre de drôles de respirations, des gémissements et des craquements, j'ai craint, ou pressenti, de dangereuses créatures tapies dans les buissons à moins d'un mètre de moi, j'ai rêvé des monstres se dresser dans mon dos, des cadavres gratter le sol, des ossements joncher le terrain retourné. J'ai frémi quand le chien m'est revenu, tenant entre ses mâchoires un objet livide, oblong, du bois mort pris pour autre chose. J'ai même renoncé à poursuivre mon itinéraire quand devant nous, s'est étendue une zone bétonnée de frais, juste luisante sous un faux clair de lune, au beau milieu de la terre désolée du terrain vague.

 

Nous rentrons à la maison. Fin d'une escapade de routine.  



15/04/2014
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