Le Champ des Clefs

Le radeau vide prend le large vers la Terre Promise. Elle se résigne enfin à relâcher sa prise. Il faut un passager à ces planches.

Ne vois-tu pas ? C'est évident, pourtant. Trop de tendresse dans son étreinte froide, trop de non-dits entre deux eaux, et ce malaise, ce sentiment d'étrange lorsque la lumière de vos embrassades n'éblouit pas tes pensées. Elle te trouve si beau, d'une insurmontable beauté. Te regarder lui fait mal, autant qu'elle s'en ravit. Elle voudrait que tout soit simple, ne voir en toi qu'un ami un peu perdu, un peu fragile. Mais elle n'y arrive pas, pas tous les jours. Elle s'efforce de construire ailleurs en taisant ses doutes, de peur qu'ils ne finissent par hurler en bourrasques et effondrer son monde comme un château de cartes dans la tempête. Toi tu es là, ballotté dans ses bras multiples, attiré par cet être qui a deux cœurs de trop. Tu sais qu'il n'y a rien à attendre, mais tu ne peux pas t'empêcher de rêvasser à des temps où tu aurais toute la place que tu mérites dans la salle du trône. Elle boucle un peu sur les mêmes vagues pensées, sans vouloir s'y attarder vraiment. Elle échoue à demeurer constante, elle échoue à se satisfaire des trésors déjà conquis et pourtant si précieux, si dignes d'attention. La pieuvre est un animal volage et insatiable, mais étrangement fidèle dans son infidélité. Ne vois-tu pas ? C'est évident, pourtant. Et rien de tout cela n'est avouable.