Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

les petits ennuis de l'existence

15h25. Encore deux heures et cinq minutes à tenir, puis officiellement il sera temps de mettre les bouts, jusqu’à demain. Je n’ai pas grand-chose à faire. En fait, depuis trois mois, je suis dramatiquement désoeuvrée. Je fais beaucoup d’efforts, quand l’ennui m’y contraint, pour trouver de quoi m’occuper un peu, durant une heure ou deux, voire pour quelques jours. Histoire de gagner mes 500 euros pour autre chose que de la figuration. Le plus difficile est de paraître très affairée le mercredi après-midi, quand les patrons sont là.

 

Qu’est-ce que je peux m’emmerder, foutredieu ! Alors je cherche quoi écrire. En théorie, il faudrait que je mette mon CV à jour : ma mission se termine bientôt. Mais voilà, une fois rentrée à la maison, je songe davantage à profiter de mes quelques heures de soirée qu’à m’envoyer l’ancienne version par mail. Et je me retrouve comme une couillonne le lendemain, à ne pas vouloir tout refaire de zéro, et à repousser à plus tard la rédaction d’une nouvelle lettre de motivation.

 

Pour y dire quoi, de toutes façons ? J’ai déjà fait des vœux, et je sais bien qu’il n’y a pas de travail pour moi. Il n’y en a pas pour grand-monde, au demeurant. Il faudrait de la chance et plus d’efforts que je ne suis prête à en fournir, pour arriver à… Où ça, au fait? A vrai dire, je ne sais pas ce que je veux vraiment. Des choses me plairaient, mais de là à m’en sentir capable… J’aurais mieux fait d’apprendre un simple métier et de devenir artisan sans trop de questions superflues, avec assez de temps libre pour faire deux ou trois trucs à côté, et pas suffisamment pour rêver à d’improbables vies pleines d’exaltation. Une petite routine pas trop fatigante, pas trop risquée, pas trop demandeuse... Exactement comme maintenant, en somme, mais sans suffisamment de diplômes et d’années d’étude pour avoir pu élever mes attentes au-delà de ce niveau.

 

Eh quoi ! 19 ans de ma vie, sur 24, à passer la majeure partie de mon temps d’éveil sur les bancs de l’école, mon attention requise, ma réflexion sollicitée, ma curiosité attisée, mon intérêt captivé, ma mémoire exercée, mes productions attendues, jugées, mes performances poussées à l’amélioration, et du jour au lendemain, un diplôme, merci, au revoir ? Puis en gros deux années de pas grand-chose, de la vacuité employée de façon anarchique, à lutter contre la flemme, à avoir peur de l’avenir, à oublier, profiter, culpabiliser, à vivre malgré tout… Fonder des espérances, se faire des illusions, comprendre peu à peu, réduire ses attentes, mendier un stage comme on implore un verre d’eau, envisager de reprendre les études mais à quoi bon ?

 

Puis la dure réalité du monde du travail : ici on apprend rien, on produit. Ici on ne travaille pas pour soi, mais pour d’autres. Ici, on n’imagine pas, on ne réfléchit que peu, on ne cherche ni ne découvre : on fait les copies et le café. Parfois on prend une initiative. Puis on s’excuse et on ne recommencera plus. Le monde est bien plus pragmatique que les valeurs inculquées par l’enseignement.

 

Que cherchons-nous, quand nous rêvons d’ailleurs, de liberté, de voyage ? Voulons-nous l’aventure, le risque, le danger ? Notre jeunesse s’ennuie, déprime de ne pas avoir une existence plus remplie, mais ne sait pas de quoi elle voudrait la remplir. Alors elle consomme et elle trompe son impatience. L’autohypnose fait des miracles ! Et elle se plaint, oh, comme elle se plaint…

 

15h56. Encore une heure et demie. Demain je refais mon CV. Je trouverai peut-être du travail en tant que pigiste, ça pourrait être intéressant ?



23/04/2014
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