Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

Questions sur le questionnement

C’est quoi, être en questionnement ? 

 

C’est quoi, être une femme ? 

 

Pourquoi c’est si important pour certaines personnes, et si insignifiant pour d’autres ? 

 

Je n’ai jamais rêvé d’être adulte. Je n’ai jamais fantasmé de choses de filles, mais je n’ai jamais non plus refusé les attributs féminins. Je me contentais d’être moi, et c’était suffisant. A l’adolescence, j’ai fait avec le corps, j’ai aimé jouer de mon androgynie passagère. Je l’ai parfois regrettée plus tard, cette liberté d’effacer les marqueurs du genre. De ne se dire ni fille, ni garçon, ni homme, ni femme. Mais de se laisser deviner et définir autrement. “Un petit ange : c’est ce que tu seras toujours, pour moi”. Les mots me sont restés, parmi tous les mots. Pourquoi spécialement ceux-là ? Il fallait bien que ce soit important. Je me souviens du plaisir, aussi, de la joie quand on me demandait “tu es quoi? Un garçon ou une fille ?”. Et je me souviens petite, de ma fascination pour Gisèle, l’animatrice du centre aéré qui ressemblait à Renaud ; et plus tard, de la jeune personne qui y travaillait aussi et dont nous n’avons jamais su définir le genre. Pas que ça nous ait beaucoup préoccupé : nous n’avions pas dix ans. 

 

Je n’ai jamais pensé à me définir, dans le genre ni sexuellement. Il suffisait d’être. Avais-je besoin de savoir plus que les choses et les personnes que j’aimais ? C’est aussi curieusement que malgré mes amours féminines au collège, je n’ai pensé à me dire pan, ou bi, que plutôt récemment. Et que ça n’a jamais été une affaire. 

 

Il y a autre chose, bien sûr, car d’autres que moi enracinent leur identité dans le genre qu’iels se sont construit, dans leur sexualité et dans leur romantisme. Pour certain.es, c’est important. Pour certain.es, être soi, c’est devoir se cacher, et se cacher, c’est souffrir. La différence majeure est peut-être là : je me cache (je peux le faire, la fluidité est particulièrement facile à masquer) parce que pendant longtemps, je n’ai pas eu idée qu’il y ait eu autre chose à montrer. Que je pouvais choisir d’être autre que ce qu’on m’avait désigné.e, et que des gens se battaient pour ça. Je me cache, parce que je me sens suffisamment bien dans le costume de femme. Parce que le costume d’homme ne me manque pas. Parce qu’aucun costume de genre que je pourrais porter ne serait autre chose que cela : un costume. Je me cache, parce que c’est pratique, facile, parce que j’ai l’habitude et que j’aime ces choses dites féminines qu’on ne peut pratiquer en public sans être montré.e du doigt que si on porte au cou la bonne étiquette. Je n’ai donc pas souffert, parce que j’avais toujours au moins un pied dans la bonne case, la case que l’on peut cocher dans les formulaires. 

 

Et aujourd’hui non plus, je ne souffre pas. Parce que je suis bien entourée, parce que l’éducation que j’ai reçue me permet un recul, me protège d’une grande part de honte. Sans honte, je suis. Sans contrainte insurmontable ni opposition franche, je suis. En renonçant à peu, je suis.

 

Or il me semble que les identités queer, du moins les plus communautaristes, se construisent pour beaucoup en opposition : à un entourage violent, toxique ; à des agressions ; à une pression sociale et culturelle… Leurs luttes peuvent-elles être les miennes ? Leurs identités peuvent-elles inclure ma réalité douce, naïve, faible ? Il me semble que non, que sans partager leur souffrance et leur besoin vital de se battre pour la reconnaissance de leur être, je ne peux me dire que solidaire, pas concerné.e. Pas sans dévaluer le combat, pas sans diluer la communauté. 

 

Je ne suis pas sans questionnement, je ne suis probablement pas une femme, dans le sens où, sans l’habitude d’avoir été désignée comme telle, je n’aurais certainement pas choisi de me présenter sous l’angle du genre. “Hey, salut, je m’appelle Camille, je suis une femme”. 

Comment voulez-vous être révolté quand vos parents vous ont accordé un des seuls prénoms épicènes de la langue française ? Quand votre soeur bénéficie du même sort ? Quand on ne vous a jamais forcé à, ni empêché de, au prétexte que “les filles”... ? Je n’ai jamais été incité à me penser comme femme, et je n’ai jamais ressenti le besoin de le faire. Au contraire, j’ai toujours éprouvé un attrait pour les personnalités queer, féministes, androgynes, les femmes masculines, les garçons féminins, on dirait une chanson d’Indochine. Très tôt eu une sexualité solitaire. Toujours aimé des garçons, des filles, des gens. Presque toujours plusieurs à la fois. Et ça n’a jamais représenté un stress, une honte ou un dégoût. Je n’ai jamais été grondée ou puni pour qui j’étais. 

 

Alors, qu’on m’appelle une fille, une femme ou autre chose, ça m’indiffère plus ou moins. Je n’ai pas la sensation de devoir perdre beaucoup en me conformant à la case. Contre un peu de satisfaction, j’échange beaucoup de tranquillité. Si on divise le monde en deux camps, celui des “normies” et celui des “queer”, alors je suis le traître et la menteuse. Celle qui ne se mouille pas. Mais si je choisissais “le camp des queer”, serait-ce une décision plus loyale pour autant ? Vers plus de vérité ? Ou un mensonge de plus, puisque fait sans souffrance, sans nécessité, et donc avec un engagement moindre ? Peut-on se dire trans si on ne se sent jamais mégenré ? 

 

La question a-t-elle une réponse universellement honnête ? Est-ce que je me dois d’aller au bout de mon questionnement ? Est-ce que c’est important pour moi, pour les personnes que j’aime ? Est-ce que j’ai envie de voir le monde à travers un autre prisme binaire, est-ce qu’il y a de la place pour une personne trans de Schrödinger  : ni dans le placard, ni dehors ? Ni cis, ni en lutte ? 

 

Est-ce que “féminin par commodité” est un genre honnête ? 

 

Suis-je d’un genre ?



06/11/2019
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