Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

La muabilité se glisse vraiment partout

Y a-t-il des miracles, finalement ? Peut-être qu’il n’est jamais trop tard… J’ai vingt-quatre ans, il en a cinquante. Et nous avons échangé les rôles. Maintenant, c’est moi qui l’observe avec étonnement, un peu en retrait, tisser timidement une relation.

Un coup de fil, une discussion où il est à la fois prolixe, joyeux et sobre. Quelques temps sans nouvelles, et il était parti en vacances avec elle. Une soirée enfin, où nous la rencontrons, et cette femme semble bel et bien lumineuse et inébranlable, sauvée des eaux, renée du feu. Lumineuse et irradiante. C’est peut-être elle notre miracle ?

Bien sûr, il est trop tôt. Durant les heures paisibles et camarades que nous passons ensemble, il m’apparaît encore fragile, incertain, en retrait. Nous sommes ici entre gens bienveillants, nous, elle, ses amies, et une toute petite fille joviale, mais il a l’air d’en douter peut-être.

Bien sûr, les miracles n’existent pas vraiment, et si jamais les gens changent, ils doivent sûrement le faire très lentement, au goutte-à-goutte, perfusion d’âme et de sens pour ressusciter l’âme piétinée par des années de détresse.

Mais quand je les vois s’échanger sourires et bécots, quand j’entends leurs presque adolescentes allusions aux joies de leurs nuits, quand ils s’accompagnent, adultes éprouvés par d’incompréhensibles tempêtes, naufragés rescapés amarrés l’un à l’autre, arrachés à leurs anciennes attaches et dérivant au gré de nouveaux courants, plus tièdes mais plus tranquilles, eau douce sur les blessures piquées de sel, mon cœur de fille se gonfle de joie pour le père qui n’est plus seul, et moins désespéré.

Même ma grand-mère si dure, si fermée, ma grand-mère qui a toujours repoussé ma mère, la femme la plus chère à mon cœur, ma grand-mère aux idées grossières et d’un autre âge, et son compagnon si catholique et sicilien, se sont épris de cette femme juive pratiquante. Mais comment auraient-ils fait pour ne pas être séduits, eux aussi, par la vivacité, l’exubérante affection, et l’intelligence tangible d’une femme à la fois tellement pratiquante et tellement curieuse de tous ses pairs ?

Oui, quand je vois mon père depuis ces derniers mois étranges, j’ai l’impression de le voir muer, s’extirper d’une exuvie grisâtre de tristesse et d’ennui pour profiter d’une peau neuve, brillant au soleil d’un tournant inattendu. Je prie, moi qui suis peut-être plus croyante ou plus religieuse que je ne le crois, pour que cela soit.

Pourtant, même du haut de ma bienveillante maturité de fille aînée, je ne peux pas m’empêcher de sentir un pincement pour ma mère, qui a tant essayé, sans jamais parvenir. Et mon cœur malgré moi se rebelle un peu à l’idée que cette inconnue, si merveilleuse puisse-t-elle être, devienne un jour le noyau familial du seul père que nous aurons jamais, et que nous avions toujours connu à nos côtés, plutôt qu’entre d’autres bras. Tandis que ma mère demeure seule, alors que j’aimerais tant la voir en amante heureuse. 



30/04/2014
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