Le Champ des Clefs

Le Champ des Clefs

Ulysse et Calypso

Voici l'homme transi, presque mort, presque noyé, ballotté par les flots en furie. L'univers entier n'est plus qu'aquatique, l'eau est partout, sous lui, au-dessus de lui, elle est sa terre et son ciel, douce et salée, glaciale, grondante, plus violente que la passion. En Dieu furieux elle se cabre et caracole, elle danse un sabbat monstrueux et tord l'homme entre ses doigts liquides, comme un sorcier tourmente une poupée vaudou. La tempête est terrible, et Ulysse ne peut lutter, si seul et si perdu dans ces obscurs remous.

Soudain surgit de nulle part un débris, morceau de bois flottant sur l'océan, offrant au héros son salut inespéré. Il s'en saisit péniblement, se hisse, s'arrime, et sombre.

 

Le jour est levé. La colère des Dieux semble tombée. Ulysse reprend conscience, échoué sur un doux et tiède rivage, doucement poussé par les dernières vagues sur le haut de l'estran. Peu à peu, il retrouve l'usage de ses sens. A ses oreille parvient le ressac, et aussi un bruissement harmonieux, des chants d'oiseaux, une brise de printemps dans d'épais feuillages. Un chaleureux soleil réchauffe son corps meurtri, ankylosé par le froid mortel des abysses auquel il échappe. Une soif immense l'étreint.

 

Elle a perçu au cœur de la nuit, les appels silencieux d'une âme au plus près du Styx. C'était un déchaînement d'éléments, tous les vents hurlaient ensemble, des hordes d'éclairs venaient frapper la surface rugueuse de l'océan démonté. Elle a savamment manoeuvré pour que ce débris parvienne à portée du naufragé, pour qu'un courant docile lui fasse une route vers son rivage, et le mette en sécurité auprès d'elle. Maintenant il est là, son homme-océan. Nu et couvert d'écume et d'eau, sa chevelure brillante, onduleuse et épaisse, semble faite de rubans d'algues, et la délicatesse presque féminine de sa toison offre un contraste saisissant avec la silhouette découpée, sculptée, que font sous sa peau ses muscles puissants et nerveux. Il respire faiblement, son beau visage aquilin orné d'une barbe touffue. Un moment, elle hésite, et n'ose le regarder encore : n'est-ce pas Poséidon qui gît là sur son sol ? Mais non, c'est bien un homme. Elle s'approche. Il respire faiblement. Elle se penche sur lui, le retourne, soulève sa tête et porte à ses lèvres une gourde d'eau pure. Il boit avidement et semble reprendre vie, mais il est épuisé et retombe bientôt dans une inconscience apaisée. Elle ne peut s'empêcher de poser sa bouche sur celle du miraculé, et lui vole un baiser au goût de sel. Quelques grains de sable s'interposent, mais elle fait fi et emporte son protégé dans sa grotte somptueuse.

 

Comment expliquer cet impérieux appel nocturne ? Comment croire que les éléments furent de son côté ? Comment si ce n'est que le destin a placé Ulysse dans les douces mains de Calypso ? Elle l'a recueilli, l'a soigné, il est au centre de ses pensées, à chaque instant elle le cherche des yeux et son cœur bondit de le savoir auprès d'elle. Mais il regarde souvent au loin, silencieux et sombre. Il a une route à continuer, sa vie n'est pas ici. Avec Calypso, Ulysse n'a pas d'avenir, il en a bien conscience. Pourtant, quelque charme étrange le retient aux côtés de sa charmante sauveuse. Il ne saurait dire s'il l'aime, mais il la désire, oh, si douloureusement lorsqu'il la regarde, que chaque jour il diffère son départ d'une journée.

 

Bien sûr, c'est elle qui l'ensorcelle. Elle use de philtres et de sortilèges pour garder son Ulysse,



15/04/2014
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